- fxtart
À l'ombre d'un rôle : Chap 2 - Retour vers le futur
Dernière mise à jour : 15 mai
Installé à l’arrière de la berline, je m’adresse au chauffeur, sourd à mes questions. Son visage est caché dans sa casquette en velours, et il est tout de noir vêtu, comme un croque-mort. Ça ne me donne pas envie d’être conduit je ne sais où ! Sa conduite est sans vitesse excessive, pas pressé d’arriver, on dirait. Ou alors, il suit le Code de la route à la lettre. Ou, simplement c’est simplement un gars d’expérience, chauffeur toute sa vie.
Je demande une énième fois où on va, mais j’ai pour toute réponse, l’auto-radio que le chauffeur vient d’allumer, et qui envahi tout l’habitacle. Je reconnais le poignant et lancinant Adagio d’Albinoni, souvent repris dans les marches funèbres, ou lors d’enterrement, que le défunt avait choisi avant sa mort.
C’est d’un gai ! Mais, paradoxalement, j’ai toujours apprécié cette musique. Malgré son air dramatique, elle transporte, elle perce, elle fragilise, faisant écho à notre humanité dans notre âme la plus profonde. C’est toujours l’effet que ça fait, quand je l’entends. Elle m’émeut, à chaque fois...
Assurément, ce chauffeur est un homme de goût.
Je me laisse donc conduire, sans rien dire, et m’inspire de la musique ; l’Adagio, bien malgré moi, m’embarque dans des mondes intérieurs. Ce que je fais, avec délectation. Je n’ai pas honte de le dire. La musique classique, tout comme le jazz, m’offre parfois le privilège de réfléchir tout en m’évadant…
Mais, réfléchir à quoi ? Au passé, qui, par son apparition, est revenu taper à la porte à l’improviste ? Décidément, il a beau avoir été mis de côté, rangé dans un placard, au fond d’une malle, sous les combles de ma conscience, il revient de nouveau.
Et pas n’importe comment !
J’avais pourtant fait table rase du passé par son enterrement, et le mort est de retour, et bien vivant. Infaisable. Impensable. Impossible.
Je me souviens qu’il ne ratait jamais ses entrées, et je peux dire que sa réapparition ne manquait pas d’éclats non plus. Toujours l’envie de vouloir surprendre, de vivre constamment dans la lumière, dans les frasques et les paillettes ! Comme si l’ordinaire rendait la vie obscure, sans teint, et aveugle. Alors, que c’est tout le contraire…
Par expérience, je peux dire que la vie nocturne n’est qu’une serre sous des soleils d’artifices ; un jeu grandeur nature où le faux semblant jouent aux dés avec l’être humain dans toutes ses fragilités, ses forces, et ses tares. Des excès qui ont eu raison de mes croyances, et de ses pertes nombreuses, faits de déchirures en de causes multiples. Son souvenir me rappelle combien ce métier nous offre des marques d’affections incommensurables, et des cicatrices indélébiles, au cœur, au corps, à l’âme. Une cartographie de l’âme aux allures de la chose de Frankenstein, et qui me fut insupportable. Et, l’Adagio, dans sa bulle harmonique, me renvoyait à sa disparition.
Chaque note, une image. Chaque son, une couleur. Chaque accord, une odeur. Des fleurs. De la terre. Du bois cirés. Des eaux en abondance sur les joues des convives, des proches, et des amis. Un dernier hommage. Un dernier appel aux armes. Une salve d’applaudissement. Et, on baisse le rideau. Il n’était plus.
Et, Elle naquit, renaissant plusieurs années plus tard !
Comment ? Pourquoi ? Des questions qui méritaient une réponse.
Il – ou elle – me devait bien ça !
La musique s’arrête d’un côté. La voiture aussi, sur le bas-côté.
Le chauffeur sort, et m’ouvre la porte.
Je respire un bon coup, et je sors à mon tour, le regard vers un bâtiment.
Un théâtre…
Pourquoi ne suis-je pas surpris ?