- fxtart
À l'ombre d'une rôle : Chap 12 - Révélations
Laure marche vers une partie de la bibliothèque, et fait tourner sur son pivot une étagère de livres ; apparaît un mini bar.
Elle sort un scotch et deux verres.
— Tu m’accompagnes ?
— Pour fêter ton futur siège ?
Elle remplie le premier verre et s’arrête un instant, hésitante.
— Je n’ai pas encore gagné.
— Ne me prends pas pour un journaliste.
Puis, je me souviens d’une des phrases du livre que je pose sur une table basse, qui se partage et est cité souvent sur les réseaux sociaux. Je le cite de mémoire :
Elle me tend un verre. Par politesse, je le prends, puis je le pose à côté du livre de Sun Tsu en citant une de ces maximes.
— « Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie. »
Elle boit une gorgée, amusée, le regard pétillant.
— Je vois que… tu connais tes classiques.
— On sait tous les deux ce qu’il en est. N’est-ce pas ?
Elle ne dit rien, me jaugeant du regard, cherchant à savoir quelle carte j’avais en main. Si je bluffais vraiment. Mais, je n’abattrais pas mon jeu tout de suite.
Je laisse un silence entre nous, puis je reprends.
— Je suis là pour t’apporter mes conclusions. Tu m’as engagé, tu te souviens ?
Elle sourit.
— Je t’écoute.
— Un cas de vie ou de mort… En l’occurrence, c’est toi qui restes en vie.
— Comment ça ?
— Aux dernières nouvelles, le mort est le député sortant. Non ?
— Malheureux concours de circonstances.
— Pas le bon timing, tu crois ? Ou est-ce le contraire ?
— Je ne te suis pas.
J’expose les faits, dans l’ordre, mais à ma manière.
— Bien joué la double menace. Personne n’a rien vu venir. La balle dans le cercueil, quel accessoire ! Et l’envoyer aux deux candidats principaux, une vraie tragédie shakespearienne des temps modernes. Ce qui m’a mis dans l’erreur, c’est l’épitaphe… une façon de détourner les yeux ce qui se jouait vraiment.
— À savoir ?
— L’élimination pure et simple de la concurrence.
— Tu crois que je suis pour quelque chose dans la mort de…
— Ah oui ! C’est vrai. T’as un alibi. T’étais avec moi quand ça c’est passé. J’ai vérifié. Même jour. Même tranche horaire. Suffit que je témoigne et on t’innocentera, si jamais on te soupçonne. Mais, d’ici là tu vas devenir députée, tu prendras la lumière, et tu remplaceras ton… adversaire, mettant sous le tapis cette affaire.
Remplacer… Je venais de comprendre un truc important. Ça m’avait échappé jusqu’à présent, mais, c’est si évident à présent.
— Non. Pas ton adversaire…
Son regard devint perçant, les pupilles dilatées, une de ses mains qui tremble tout en buvant son verre. Mais, je fis mine de n’avoir rien remarqué, et continu mon exposé.
— Ce n’était pas ton adversaire, tu étais sa remplaçante. Il fallait l’éliminer, pour te mettre à sa place. Tu te demandes comment je le sais ? C’est toi qui m’as donné l’indice, sans le savoir : la SCP Godot, financé par… la firme qui t’emploie aujourd'hui, ou qui t’emploiera demain, à la place du député défunt, qui bossait pour eux jusqu'à ce qu’il veuille arrêter cette mascarade. Des remords, peut-être ? Si je creuse un peu je trouverais bien une signature ou deux sur des documents officiels entre une filiale du groupe qui avait fabriqué de toute pièce un élu de la nation… Comme toi aujourd’hui… C’était ça le deal pour disparaître ? changer de peau ? Tu t’es vendu au diable pour rester dans la lumière !
Ses tremblements continuent. La drogue, peut-être… Son amante de toujours… Fidèle par tous les temps.
Ou bien est-ce la peur ? Une peur indicible, mais bien présente…
Elle décide enfin à parler.
— Tes… hypothèses sont… intéressantes… du moins, elles ne manquent pas de piquant, pour des journaleux férus de théories du complot.
Elle n’avait pas tort. Qui pourrait croire à cette histoire, aux antipodes du politiquement correct que l’establishment en place cherche à tout prix à vendre comme un article bon marché à son électorat.
Mais, si c’était le cas, pourquoi Laure semblait si mal à l’aise. De toute façon, je n’ai pas de preuves solides. Elle le sait, au même titre que moi. Pourtant, si j’arrive à recouper quelques infos, et balancer cela à des journalistes indépendants, sa carrière politique serait foutue avant même de commencer réellement. Et ça aussi, elle en a conscience.
— J’ai cherché au début pourquoi tu avais fait appel à mes services. Peu de gens connaissaient l’origine de l’épitaphe sur ta pierre tombale. Et les personnes se comptent sur les doigts, et nous sommes tous les deux sur cette main. Et, ton concurrent ne l’était pas. Et, pourtant, il reçoit la même menace de mort. À la différence c’est que lui meurt réellement. Avait-il découvert le pot aux roses ? Qu’on le manipulait lui aussi ? Qui est derrière tout ça ? Les mêmes qui finançaient vos deux campagnes qui s’opposaient ?
Laure lève les yeux sur moi, surprise, comme prise la main dans le sac.
— Voyons… un bon bookmaker parie sur tous les chevaux qui ont une chance de gagner.
Elle sourit.
— Ne jamais mettre tous les œufs dans un même panier, c’est ça ?
— Je commence à avoir de la bouteille pour les coups tordus. Et celui-ci en est un. C’est de la politique, et c’est jamais simple en politique. Les coups de poignards dans le dos sont légions. C’est toi qui me l’as toujours dit quand tu allais manifester ! C’était le cas hier. Pourquoi ça changerait aujourd'hui ? Toujours aussi tortueux ! Ce que je n’arrive toujours pas à comprendre c’est pourquoi un plan aussi débile pour éliminer l’ancien député. Quelques photos, quelques rapports, et vous lui tailliez un costard pour le restant de ses jours. Qu’il s’enterre tout seul dans un trou, sans que plus personne ne parle de lui. Les faiblesses des uns sont la force des autres. C’est d’un commun tout ça…
— Toi aussi, on n’a jamais plus entendu parler de toi.
— Moi, c’était un choix délibéré. Contrairement à toi qui joues toujours les divas, qu’importe le costume porté.
Elle baisse la tête, mal à l’aise, presque honteuse.
— Cette firme, elle te tient comment pour avoir accepté de jouer leur pantin ? De la coke gratos ?
Elle veut se défendre, mais je ne lui en laisse pas le temps, lui tendant un mouchoir en papier.
— Tu saignes du nez.
Je ne bluffe pas, c’est vrai.
Elle se touche la lèvre, découvre le sang, prend le mouchoir, l’applique sur son nez tout en soulevant la tête, et va s’asseoir dans un fauteuil.
— Combien de lignes tu t’es envoyé ce matin au petit déjeuner ?
— Tu parles sans savoir.
— Bien au contraire ! T’as voulu m’entraîner dans tes conneries. Tu t’en souviens pas ?
— Je ne suis plus le même homme. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.
J’hésite à contre-attaquer. J’avoue être excédé par la situation et son attitude de repli. On peut même dire lâche. Ce n’est pas dans son habitude. Il était combatif à l’époque. Un passionné !
— Tout ce que je peux te dire c’est que l’opération fût lourde à porter, et a eu des conséquences…
Sa phrase reste en suspend, comme si les trois points de suspension suffiraient à comprendre. Un des hypothèses qui me vient à l’esprit c’est que les greffes lui auraient causées quelques soucis de santé, voir des complications plus grave, telle qu’une maladie… Un cancer peut-être bien… Mais, je ne cherche plus à comprendre. Je ne l’écoute plus en vérité. Tout, dans cette pièce, dans cette maison, dans cette relation qui n’en est plus une depuis sa mort malgré sa renaissance, transpire le mensonge et le faux-semblant et… ça me rend triste, et en colère. Il faut que je me calme, que je reprenne mes esprits. La dispute ne sert à rien, en dehors de se morfondre dans le mépris et l’aigreur. Il faut que j’en finisse.
Je sors un dossier plié de ma veste, et le pose sur la table.
— Voici mon rapport et mes conclusions, ainsi que mes honoraires.
Le nez ne saigne plus et Laure décide de consulter le dossier, me jetant un œil oblique et noir.
Je m’aperçois qu’elle le lit en diagonal, retenant le principal de mes recherches et trouvailles. Une méthode de travail qu’on faisait quand on apprenait un texte avant d’entamer les répétitions. On était doué pour ça. Une mémoire sélective et mnémotechnique. C’est pour ça qu’on arrivait des tonnes des textes…
Elle finit sa lecture et referme le dossier.
— Je vois que tu as mis deux conclusions.
Des questions sans réponses font l’objet souvent de nouvelles pistes, pour combler les blancs. Mais, pour ça il faudrait que je poursuive mes investigations, à commencer par ton chauffeur.
Elle me regarde d’un coup, surprise.
— Mon chauffeur ?
— Un chauffeur qui est surtout ton garde du corps. C’est lui qui m’a fait entrer ici. Sympa le Beretta sous sa veste, mais je ne suis pas sûr que ce soit réglementaire. Et, si je creuse un peu, pas sûr non plus qu’il travaille réellement pour toi. Il est là pour te surveiller et non pour te protéger. La future députée se doit d’être correcte, sous tout rapport, et à la botte de ceux qu joue des vies comme on joue au Craps.
— Tu recommences…
— Laisse-moi continuer… et on verra qui à tort ou qui à raison. Mais pas sûr que tu en es l’envie ! Je me trompe ?
— Tu vas y perdre ton temps, et…
Elle ne finit pas sa phrase, comme si je devais deviner. Mais, j’insiste. Plus question de jouer à son jeu.
— Et quoi ?
— Ils ne te laisseront pas faire.
Enfin, elle l’avoue. À demi-mot, mais c’est déjà ça. Manque plus que le pourquoi et j’aurais le fin de l’histoire.
— Ils y gagnent quoi ?
— Un vote.
— Ton vote ne suffit pas pour…
Je la regarde et je comprends. Députée n’est pas l’objectif. Ce n’est que le premier jalon. C’est de devenir comme le candidat disparu : une figure, une personnalité, la future femme providentielle, qui vend de l’espoir comme on vend une batterie de casseroles ; l’image d’ailleurs est ironique quand on y pense. Elle fait l’objet d’un plan de carrière qui doit certainement la dépasser. Mon vieil ami, en se transformant, a mis le doigt dans un engrenage dont l’issue lui sera fatale, quoi qu’elle décide aujourd'hui.
— Tu veux monter les échelons jusqu'à où ?
La question la surprend, comme si j’avais deviné, sans avoir le besoin de théoriser des heures sur le sujet.
— Jusqu'à ce que je pourrais le faire.
— Ou qu’on t’autorise à le faire.
Son sourire pincé parle de lui-même.
— Je jouerais mon rôle, comme je l’ai toujours fait.
Au moins, ça, c’est la vérité. Il s’était toujours engagé à fond dans un rôle fictif, pour mieux le rendre réel. Aujourd'hui, c’est pareil, mais l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête semble peser lourd dans la balance.
Je regarde ma montre. Dans cinq minutes les résultats officiels tomberont. Il faut que je m’en aille d’ici. Pas envie d’assister à l’euphorie collective dans la salle d’à côté, ni à partager une victoire créée de toutes pièces.
— Faut que j’y aille. Je te laisse mon rapport. Et, j’arrête les frais. Je n’irai pas au-delà.
Elle se lève et me tend une main.
— J’étais contente de te voir.
Je ne réponds pas, partagé, à la fois ravi de le savoir vivant et déçu de voir ce qu’elle est devenue.
— Ne me contacte plus.
Je lui tourne le dos, prêts à sortir.
— Nous n’avons jamais eu cette conversation, s’efforce-t-elle de rajouter, comme s’il m’était nécessaire de me rappeler mon engagement.
Je m’arrête sur le seuil de la porte, et j’enfonce le clou.
— Et, on ne sait jamais rencontrer. Pour moi, tu es mort et enterré. Et, je préfère garder l’image d’un camarade bourré de défauts, et de manies, mais qui avait encore des convictions.
J’ouvre la porte. Son garde-du-corps et chauffeur fait mine de m’empêcher de passer, attendant l’aval de Laure. Je regarde le gorille, qui d’un hochement de tête en sa direction, me laisse sortir.
Dans la rue, alors que je rejoins ma voiture, j’entends des clameurs de joie provenant du QG. Elle avait gagné. Oh la surprise !
Je regagne mes pénates, la radio diffusant les résultats circonscriptions par circonscriptions. Je ne cherche pas à savoir combien elle a obtenu et change d’onde FM. Je choisis ma radio préférée : BJ FM, et écoute la voix rauque, sensuelle, et puissante de Beth Hart dans son Caught Out In The Rain, entraînant, envoûtant, qui m’offre un billet retour vers le présent, vers mon quotidien, tournant définitivement la page d’une partie de mon passé.
FIN