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À l'ombre d'un rôle : Chap 8 - De réponses en questions

Voilà. C’est fait. J’ai toutes les informations que je cherchais. Dates. Lieux. Le comment. Le pourquoi. Les qui. Et, plus important encore, les financements de qui, au travers d’un montage financier.

Effectivement, le père du fils à papa avait tout orchestré, sous le joug d’une S.C.P. du nom de Godot Corporation ; une société civile de placement dont le seul bénéficiaire et actionnaire était mon ancien ami. Là encore il ne fallait pas sortir de grandes écoles pour comprendre la supercherie. Godot étant un personnage célèbre du théâtre de l’absurde, qu’on ne verra jamais sur scène, j’y ai très bien vu l’ironie et le parallèle du choix de l’ancien camarade de jeu de vouloir disparaître.

Question : où a-t-il trouvé l’argent ? Laure – je vais continuer à l’appeler comme ça, pour m’habituer avant tout à sa nouvelle identité – n’y connaissait rien en comptabilité et en montage financier. Quand on jouait ensemble, et qu’on sortait, il dépensait tout. Jamais une thune de côté. Il ne voyait pas la vie au-delà du lendemain. Pour lui… Enfin pour elle, chaque jour était un jour nouveau, une nouvelle aventure, une renaissance. Comme si… aimer vivre sur le fil d’un rasoir n’avait rien de risquer, où son insouciance jouait systématique aux dés avec sa vie.

Est-ce pour ça qu’il avait tout plaqué, comme moi ? Enfin, presque comme moi ? Pourquoi l’avoir caché ? Pourquoi toute cette mise en scène de sa mort. Le changement de sexe n’était pas la seule raison. Quelque chose semblait plus profond, et je n’arrivais pas encore à savoir quoi.



Dans mon bureau, un verre entamé d’un single malt, accompagné de la mélopée douce et voyageuse de « Sonny cried » de Harry Connick Jr, tiré de son album Blue Light, je réécris de mémoire ma lecture du dossier. Je n’ai pas de mémoire photographique, mais après la lecture du dossier deux fois de suite, j’arrive à le mémoriser. Apprendre des textes à la chaîne, quand on est comédien, on s’arme de méthodes en tout genre qui permettent de garder la mémoire et de la rendre si flexible qu’elle jongle d’un texte à un autre, d’un rôle à un autre, du jour au lendemain, parfois même plusieurs fois par jour. C’est un exercice de longue haleine, un apprentissage au quotidien, mais un savoir qui m’est devenu un automatisme aujourd'hui. C’est pourquoi, retenir ce dossier de mémoire, et le retranscrire quelques heures après sa lecture, m’est devenu quasiment facile.

Et, au fur et mesure, recopier le dossier m’offre une nouvelle vision, et j’y vois des failles qui posent question. Et, pour un enquêteur, les bonnes questions sont vitales, tandis que les mauvaises nous font perdre du temps.

Et, en dehors du « pourquoi » peu satisfaisant à mon goût, le « qui » par contre, m’offre une nouvelle piste. Ce dont je me rappelle aussi, c’est l’échange de bon procédé du Think Tank qui l’a aidé à disparaître. Ce n’est pas noté noir sur blanc, mais je sais aussi lire entre les lignes. Je comprends mieux d’ailleurs pourquoi Laure est devenue l’égérie politique du moment. Elle aurait pu devenir quelqu'un d’autre mais son goût pour défendre des idées fût certainement une des raisons on l’a aidé à changer de peau enfin de compte. J’ai le souvenir que sa famille est issue d’une longue lignée de personnes influentes dans le domaine public. Ils sont un peu partout sur les marchés qu’octroi l’État dans ses besoins d’infrastructure. Et, si j’ai bonne mémoire, c’était souvent une société qui appartenait à sa famille qui obtenait le marché en question. Laure m’avait d’ailleurs raconté qu’une fois que sa famille avait monté plusieurs sociétés bidons qui faisaient tous partie de la concurrence, afin d’être sûr d’obtenir le marché en question. Et, le marché à chaque fois était de taille ! La réfection des lycées de tout un département par exemple. Ça pesait des centaines de millions. Une affaire juteuse avant même de poser la première pierre.

Alors, j’imagine quand le contrat est de plusieurs milliards…

Paradoxalement, Laure ne s’était jamais intéressé aux chiffres, contrairement à la plupart des membres de sa famille qui en étaient "biberonnés" dès leur plus jeune âge. Il n’était pas doué pour ça, et ça ne l’avait jamais intéressé, au grand désarroi de la quasi-totalité de ses proches, formatés pour réussir dans la finance et les investissements juteux.

Comme si la scène n’était pas un endroit où on réussissait…

Quelle ironie !

De mémoire, aucun d’eux n’était jamais venu le voir jouer. Ça lui avait fait mal au début. Et puis, il s’en était fait une raison. On en parlait jamais. Ayant fait un choix, ayant une vision de la vie diamétralement opposée à la tribu, on l’avait sorti du cercle, et il s’en était trouvé un autre.

Cela dit, maintenant que j’en suis sorti à mon tour, je m’étais toujours posé la question pourquoi le monde du spectacle on l’appelait la famille… Parce que les coups tordus et autres malversations, il y en avait aussi dans ce milieu. C’était même parfois limite mafieux. Et pourtant, il y avait comme un attachement, un soutien moral et physique, comme un élan, pour mieux supporter le poids de l’échec, du doute, de la mauvaise étoile, de la galère quotidienne pour bon nombre d’entre eux… Combien ont voulu abandonner le métier l’hiver pour mieux reprendre au printemps, comme si leur sang avait été régénéré… Et ce, à chaque saison.

J’entends souvent dire beaucoup d’appelés, peu d’élus. C’est vrai pour toute carrière, mais le monde du spectacle en est un bon exemple, à prendre en compte quand on parle d’intermittence, sur le temps et l’argent.

Ce qui m’amène à me préparer pour ma quatrième piste, qui est en lien direct avec ma question sur le « qui » a monté le financement. En dehors de sa famille, dont ce secteur n’avait pas de secret, le seul dans mon ancienne profession (en dehors de moi) qui s’y connaissait un peu en chiffre était le metteur en scène qui nous avait souvent fait jouer ensemble…

Un drôle d’oiseaux celui-là, qui avait la folie - ou la perversité, au choix du point de vue -, de nous pousser à bout. Je me souviens qu’avec lui les répétitions nous épuisaient, nous rendaient K.O., nous rinçaient complètement. Mais, au final, quel résultat ! Un public nombreux et enthousiaste. Ce qui était rare à l’époque, et l’est toujours aujourd'hui.

Je descends dans une bouche de métro. Il est temps de me replonger dans des abysses dont j’ai eu tant de mal à remonter…


Fin du chapitre

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