- fxtart
À l'ombre d'un rôle : Chap 4 - Un présent au passé
Dernière mise à jour : 15 mai
Sur le chemin du retour, dans le véhicule qui m’avait amené, j’ai pris connaissance des menaces…
C’était pas triste ! Une vraie gabegie. Quel acharnement ! Je me serais crû sur les réseaux sociaux. Comment on peut jouer avec la vie des gens ? Avec leur réputation ? Pourquoi la justice, au lieu de demander aux accusateurs d’apporter des preuves, laisse les victimes devoir se défendre à l’outrage, à l’insulte, à la rumeur ? Alors, qu’il serait si simple de condamner ceux qui accusent sans preuve… Un retour de bâton justiciable. Encore qu’heu… quand on accuse de viol un homme vingt ans plus tôt de l’acte en question, il est aussi difficile d’apporter les preuves de l’accusation.
Mais, au fil de mes lectures, j’avoue que la partie réseaux sociaux, c’est vraiment une plaie. Toute cette haine. Tout cette violence… Toutes ces conneries dont je prends connaissance. Infernal. Imbuvable. Un vrai nid de crétins. On se serait cru sur le rade d’un bar où des milliers de décérébrés invectivent à outrance ; actes gratuits, sans construction, sans réflexion. Une vraie boucherie. Une guerre d’images et d’idées qui ne dit pas son nom, aux images déformées, et aux idées si courtes qu’il faudrait arrêter d’appeler cela « idée ». Laure était devenue la victime de trolls sans nom, sans identité, puissant parce qu’anonyme, misérable dès qu’ils se trouvent eux-mêmes sous le feu des projos.
Mais au final, ce qui me dérange, ce n’est pas ces kilomètres de conneries, bourrés de fautes la plupart du temps, c’est cette balle dans ce cercueil en miniature, glauque à souhait, accompagnée de cette épitaphe étrangement personnelle, beaucoup trop personnel, en lien direct avec le passé, et sa mort « spectacle ». Je peux l’appeler ainsi à présent.
Dire que je suis tombé dans le panneau. Comment n’ai-je pas capté le subterfuge ? Laure au masculin était un écorché, passionné, mais pas suicidaire. Loin de là ! C’était même tout le contraire. Je devais réfléchir.
Plongé dans mes notes, et les dossiers que Laura me donna à mon départ, et qui apportaient quelques pistes sans y croire vraiment, mais qu’il ne fallait pas écarter, je demande à mon chauffeur de mettre de la musique. La musique à ce mérite parfois d’ouvrir d’autres voies que celles qu’on a sous les yeux.
À peine a-t-il branché la radio que la voix de Massimo Ranieri enveloppe le véhicule de toutes parts avec son illustre « Perdere l’amore ».
— Ça vous convient ou vous voulez que je change ?
— Non. Non. Ça ira. J’aime beaucoup cette chanson.
— Moi aussi, me lance-t-il, un regard dans le rétro. Ça me donne toujours l’espoir que l’amour n’est pas vain.
S’il pouvait avoir raison…
Moi, elle me donne le vertige d’une époque rétro, à chaque fois. Et, pourtant, son émotion reste intacte, malgré les années. Sa chanson me renvoie une époque que j’ai mit à la trappe, aux oubliettes, et qui remonte en surface sans crier gare ! Ce n’est pas que je n’aime pas mon passé. J’estime qu’il m’a été utile, et qu’il l’est toujours, mais que je ne vis plus dedans. Le problème c’est qu’avec cette affaire, ce fil d’Ariane me renvoie en arrière, alors que je m’étais juré de ne plus y revenir.
Je ne m’en suis jamais caché non plus, contrairement à… Laure. Tout le monde a su à l’époque que j’avais jeté l’éponge. Même si la « mort » de mon ami a été la goutte d’eau, ça faisait un moment que je voulais abandonner le métier. Être sur la corde raide, ça use les neurones et déchire la raison d’être ce que l’on rêve, ce que l’on souhaite, ce que l’on s’acharne jour après jour à croire.
Certains y parviennent, trouvant un équilibre à jouer sur un fil. D’autres le trouvent dans les paradis de la bouteille, de la fumette, de la poudreuse, ou de la seringue, ou des soirées interminables qu’ils enchaînent, sans raison apparente, juste pour perpétuer le rêve dans lequel ils vivent… ou du moins le croient-ils.
Vers la fin de cette vie, le seul travers que je connus fut la bouteille. Elle m’accompagna tous les jours, comme un doudou. Elle m’aidait à rêver éveiller, ou encore à dormir.
J’ai mis des années à décrocher. C’est le coup de bâton de la dépendance. Le corps s’habitue. Le manque aussi. Mais, tout ça est derrière moi. Mes démons sont définitivement classés.
Du moins, je l’espère. J’ai peur parfois qu’ils viennent me titiller l’esprit, pour un oui ou pour un non. Pas tout à fait guéris malgré tout, au final. On sort jamais indemne d’une dépendance, surtout quand une affaire comme celle-ci réveille une soif inavouée, et inavouable.
Ça n’hurle pas encore aux loups, comme aux débuts de mon sevrage, mais rien ne me le garantit pour autant. L’animal est toujours là, endormi, comateux comme je l’étais souvent après des cuites à répétition. Mais, il n’est pas mort, assurément.
Pour preuve, j’ai la gorge sèche. L’envie de prendre un verre me fait office de flash, comme une douche de lumière froide ciblant une bouteille entamée et un verre plein, sur une table, en plein milieu d’une scène. Absurde et ridicule et pourtant je me voyais bien à proximité, à tendre le bras vers l’irréparable, vers ma faiblesse passée.
J’enlève un bouton de mon col de chemise et me replonge dans cette nouvelle affaire. Je réalise qu’il me faut prendre ce dossier comme un dossier lambda, faisant abstraction du passé qu’il respire à chaque page.
Que ma conversion soit connue de tous n’est un secret pour personne dans le milieu des intermittents, contrairement à Laure qui a bluffé tout le monde en orchestrant sa mort, pour mieux se transformer et renaître non plus sous l’artifice d’un personnage mais bien dans la peau d’un autre. D'une autre, en ce qui le concerne. Même moi, il m’a eu, et pourtant j’étais son meilleur pote. Un frère d’âme ! Si quelqu’un pouvait être mis dans la confidence à l’époque, c’était bien moi. Eh bien non. Moi aussi, j’ai été écarté du projet. Et, avant de laisser Laure sur les marches du perron théâtral, elle me fit une confidence sur les raisons de ne pas me l’avoir dit : parce qu’il m’aimait. Et par amour, il me mit dans l’ignorance.
Un amour impossible, étant hétéro de nature.
Mais, pour ma part, je le savais. À force de jouer les complices de jeu, certains signes ne trompent pas. Et, lui comme moi, sans mot dire, nous savions que notre relation resterait amicale et professionnelle.
C’est pourquoi la chanson de Raniere me parle. Comment ne pas y penser ? Ce serait de la mauvaise foi de ma part. Je l’ai aimé aussi, comme un frère, comme un ami, comme l’homme déchiré qu’il était. Je ne sais pourquoi, mais les cas désespérés, j’y suis attaché. C’est aussi dans ma nature, bien profonde, au-delà de toute raison, ni explication. Mon psy m’avait donné une explication à l’époque où j’avais choisi d’être suivi – c’est qu’avec un psy, on parle de tout, pour mieux comprendre la profondeur des maux – et sa théorie se résumait au fait qu’aider les plus démunis donnait un sens à ma vie, l’effaçant même parfois à l’autre, sans que je m’en rende compte, non par obligation, mais par devoir, par responsabilité… Parce que pour sa part, un jour j’ai failli, j’ai lâché prise, et depuis je cherche à me racheter. J’avoue, il n’était pas loin de la vérité. Mais, je ne lui ai jamais dit. La honte fait partie aussi de mon identité. Mais, c’est une autre histoire. Rien à voir avec celle en cours, bien que j’aurais pu deviner son envie de changer de peau… Si je l’avais su, mon psy m’aurait dit qu’il l’avait fait pour moi… Mais, là non plus, je mets une nuance à sa conclusion.
Il me l’aurait avoué. Mais, il l’a fait. Aujourd'hui, lors de nos retrouvailles irrationnelles. Se sentait-il la force de me l’avouer ouvertement parce qu’il était devenu une femme ? J’ai l’impression de jouer à mon psy. Faut que j’arrête ça. Pas bon pour le mental. Rester concentrer, pour éviter de tomber dans les abîmes de l’irraison et de la parano.
Je n’en veux pas à… Laure. Il, enfin elle, a fait ce qu’elle a pu. Je pense qu’en son âme en conscience, il a fait ce qu’il a jugé utile de faire. Mais, pourquoi lui en vouloir maintenant. De l’eau a coulé sous les ponts. À part le côté politique, je ne vois pas en quoi son identité était un danger particulier. La politique a cette tendance autodestructrice. Je le sais parce qu’à travers mes enquêtes depuis que je suis devenu détective privé, j’en ai croisé quelques-uns. On peut dire ce qu’on veut de ce monde, mais l’idéal passe souvent la main aux bassesses les plus viles. Faut vraiment avoir le cœur bien accroché pour en faire. Parce que de cœur, il n’y en a peu, sinon on perd tout. Et perdre tout ce qu’on construit pour l’ambition d’un siège, c’est cher payé je trouve. Il faut être plus qu’humain, ou inhumain, au choix. Ça m’a toujours fasciné de savoir qu’il y a des gens de cette trempe. Faut vraiment y croire ! Être un passionné ! Comme un artiste…
Si c’est ça, alors je ne l’étais pas vraiment. Artiste, j’entends. J’ai toujours pensé chez moi que c’était un accident. Le hasard. J’accompagnais le dit Laure quand il était homme au conservatoire. Et, j’ai donné la réplique lors d’un exercice, sans conviction, pour rendre service. Et, on nous a pris tous les deux. Et l’exercice est devenu des cours, puis des rôles concrets dans des pièces, pour prendre toujours plus de lumières, jusqu'à ce qu’elles me rendent aveugle, et m’étouffent au point de tout abandonner, du jour au lendemain, ou presque.
Le chauffeur s’arrêta dans ma rue.
Je le remercie et, à peine suis-je sorti du véhicule, qu’il repart, comme si de rien n’était…
Je n’avais pas avancé d’un pouce. Les notes et pistes du dossier que m’avaient données Laure ne m’apportaient rien de concret. Des hypothèses tout au plus. Certaines méritaient malgré tout d’y jeter un œil, mais la plupart donnaient le change à de la fantaisie pure et dure.
Seules les personnes qui avaient aidé à sa transformation pouvaient éventuellement faire partie des suspects. Et, au vu de ma lecture, la liste n’est pas si longue que ça.
Je dois donc faire le tri…