- fxtart
À l'ombre d'un rôle : Chap 1 - Mortel revenant
Dernière mise à jour : 15 mai
Mon bureau de détective privé se trouve dans une impasse. L’immeuble ne paie pas de mine, et il se cache dans l’ombre d’un autre, plus imposant, qui donne sur la rue principale. Peu de gens trouve mes locaux. Ils sont discrets. Comme moi. Un privé, ça n’aime pas les loupiotes, ça n’aime pas les caméras, ça aime peu la presse. Ça aime l’incognito. Comme ça, personne ne me voit arriver quand j’enquête. De toute façon, je n’ai pas le look d'un flic. Je n’ai pas de look du tout en vérité.
Seulement un savoir-faire. Du moins, un savoir vu… Le transformisme. J’aime me déguiser, endosser un rôle. Ça noie le poisson ; une méthode de travail comme une autre, mais qui me permet d’obtenir le résultat escompté. Et, ça m’a toujours rendu service, jusqu'à présent.
Cette idée vient de loin. Des années à jouer des rôles, sur une scène de théâtre, jusqu'à devenir fou. Enfin, j’ai pété un plomb, à force de jouer quelqu'un d’autres. Chaque soir, un rôle, et chaque semaine plusieurs enchaînements de pièces, d’époques, et de personnages. Une richesse intense qui m’a provoqué un burn-out, et j’ai décidé de tout plaquer, et de faire autre chose. Un autre métier… Métier où paradoxalement cette expérience d’acteur multi-facette me sert encore. Comme quoi, ma force et ma faiblesse de mon autre vie en est devenue ma marque de fabrique.
Je ne suis pas devenu un privé par conviction. Mais, fallait bien remplir le frigo, avoir un toit, payer des charges, et rester loin des spot-lits et des egos déplacés.
Je ne regrette pas mon ancienne vie, « inutile mais nécessaire », comme l’avait très bien résumé un acteur de renom, symbole d’une époque, mort depuis…
Et malgré ce changement, la scène est restée en moi, inconsciemment, bien malgré moi. Aujourd'hui, c’est plus instantané, plus improvisé, malgré mes préparations quotidiennes à choisir tel ou tel personnage pour mes enquêtes de terrain.
Comme celle du jour. Je dis ça comme si j’étais au restaurant à choisir un menu… Mais, ce n’est pas loin de la vérité. Une enquête, c’est aussi avoir de l’appétit. Et, au début, quand j’étais mort de faim, j’avais une fringale à m’en faire péter la panse. Comme à l’époque où je jouais. J’accumulais les rôles, comme à l’usine. Une vraie machine à costume et à masque !
Ça m’a sauvé plus d’une fois, je dois bien le reconnaître. Mais, ça m’a perdu aussi. J’ai failli en crever, à vivre toujours sur un fil, sur la brèche ! Mais, c’était pour mieux renaître, dans la peau d’un autre, un peu plus proche de moi. C’est le problème de jouer des rôles divers et variés, historique comme moderne, on s’en remet toujours au final à une quête sur soi-même. Un procédé qui mélange bien souvent fiction et réalité. Le Graal pour tout psy qui se respecte. C’est d’ailleurs un psy qui m’a révélé le moyen d’utiliser ce qui m’a mis au fond du trou comme un exutoire. Et ça m’a plutôt réussi jusque-là.
Quinze ans plus tard, mon affaire de privé tourne. Je dirais même qu’elle ronronne. J’ai même réussi à ne jamais faire la Une nulle part, et d’avoir toujours de la clientèle. Comme quoi le bouche-à-oreille, malgré la technologie et les réseaux sociaux, est encore un bon moyen de faire parler de soi. Difficile de nos jours, mais pas impossible non plus.
Je suis de la vieille école. Le tout high-tech n’est pas mon dada. Pour preuve, mon bureau est à mon image : simple, sobre, spartiate. Quelques meubles. Un canapé qui fait souvent office de lit de rechange. Quelques livres. Du papier. Des stylos. Une petite cuisine pour donner le change à un évier, deux feux, et un frigo, le tout ouvert sur un salon où, dans un coin traîne une radio, branchée sur une onde locale, BJ FM, diffusant du Jazz & Blues exclusivement. D’ailleurs, Daniel Castro donnait de la voix à travers son « I’ll play the blues for you » ; une mélodie qui mettait tout de suite dans l’ambiance feutrée de mon nid de détective.
Pour les enquêtes, peu se déplace me voir, et surtout pas quand la clientèle est aisée, et ne veut pas se mélanger avec la populace qui m’entoure. Les bourgeois et les aristos ont de ces manies !
Et, l’enquête qui allait suivre ne fit pas exception. Une enquête dont je me serais bien passée.
Foutue TV ! La TV aussi fonctionnait. Je ne sais plus pourquoi je l’avais allumée, mais voilà, les images défilaient sans le son, laissant la voix de D. Castro à la radio me chanter « qu’il jouerait du blues pour moi. » Et qu’il le jouait à la perfection.
Mais, les images à la TV s’arrêtèrent en plan fixe sur une double image de candidats politiques; un homme contre une femme. L’homme est un animal politique assez connu par ses prises de positions depuis des décennies. La seconde est une femme, parachutée de nulle part, et qui lui fait concurrence aux élections législatives. Ce n’est pas l’homme qui me tape dans l’œil, mais la femme. Tout chez elle transpire un passé que je m’étais juré de ne plus mettre un pied, même pas un orteil !
En effet, retrouver un mort sur le petit écran, bien vivant, jouant les candidats politiques aux prochaines élections nationales… ça pose question !
Et pas qu’une seule !
Le mort était un de mes meilleurs amis. Un frère de scène ! Que j’avais enterré. Et qui apparaît aujourd'hui sous des traits féminins…
Impossible de s’y tromper : la posture, les mimiques, une façon de dire les choses qui n’appartenaient qu’à lui. Il avait donc réussi… à berner tout le monde. Ses amis. Sa famille. Son frère de jeu.
J’aurai pu laisser courir, laisser la vie suivre son court et éteindre ce fichu écran. Sauf que le hasard fait souvent mal les choses. Il colle aux semelles par moment, et on a dû mal à s’en débarrasser. Parce qu’après la TV, le téléphone prit le relais et me sortit de mon hébétude du moment.
Il est vrai que la surprise était de taille, et continua à grossir quand j’entendis sa voix au téléphone, m’appelant par mon nom : Guillaume…
Jean-Baptiste Guillaume ; mon nom de scène, et non mon nom de détective…
Il m’invitait. Enfin, elle m’invitait à se voir, pour une affaire. Une affaire de vie ou de mort. La sienne… Et, d’après ses dires, j’étais le seul à pouvoir lui sauver sa nouvelle peau…
Je n’ai pas cherché à discuter. À quoi bon ! Une voiture m’attendait au pied de l’immeuble, à qui on avait donné des instructions. Il suffisait de les suivre, pour la discrétion de tous.
J’ai raccroché. Et j’ai pris ma veste, mon pardessus, mon chapeau, calepin et stylo.
Et, je suis en route… Sur les traces d’un fantôme.
Je m’appelle William Catesby, et je suis détective privé.
Pour ceux et celles qui s’y connaissent en théâtre, ils auront deviné le nom d’emprunt ; William Catesby est un rôle dans une pièce très célèbre de William Shakespeare du nom de Richard III…
J’ai pris ce nom parce que j’ai souvent joué l’auteur anglais, et qu’inconsciemment, même si j’ai quitté le métier, il est toujours en moi… gravé quelque part dans mon subconscient.
Je ne me fie pas aux dires d’un psy en général, mais celui qui m’avait sorti du trou, si je puis dire, avait sans doute vu juste. De la logique ? Ou était-ce le fruit du hasard ? Ou encore une analyse de divan sur plusieurs séances ? Qui peut savoir ! Toujours est-il qu’avoir choisi ce nom n’était en rien innocent. Catesby était une crapule, et on m’attribuait souvent des rôles de pourri. La gueule de l’emploi ? Ou rôle de composition ? Ou bien un jeu de miroir beaucoup plus malsain qu’on pourrait le croire…
Je ne suis pas un gentil. Mais, je ne suis pas un méchant non plus. Je nage entre deux eaux le plus souvent. Et dans ce métier, faire des bulles dans un aquarium géant n’est pas du tout le quotidien d’un détective. C’est plutôt les eaux troubles qui l’attendent le plus souvent.
Alors, mieux vaut s’y préparer…
Même si son apparition à la télévision m’a clairement pris de court. Idem pour son coup de fil, et sa proposition d’affaire. Une affaire qui sentait la naphtaline du passé, la poussière des souvenirs, et des emmerdes en cascades.
Oui. Ça sentait les emmerdes à plein nez, parce qu’avec lui, c’était souvent le cas…
Et encore, je reste poli !
Suite au chapitre 2 - Retour vers le futur